À Madagascar, les catastrophes climatiques ne se limitent pas à ravager les habitations ou les cultures : elles sapent aussi, de manière plus silencieuse, les droits fondamentaux des femmes, notamment en matière de santé sexuelle et reproductive. Face à ce constat alarmant, IPAS Afrique francophone s’engage à documenter, comprendre, et surtout agir.
Depuis plus de trois ans, IPAS œuvre sur le territoire malgache pour promouvoir les droits reproductifs et améliorer l’accès à des services de santé sexuelle (SSR) de qualité. En 2023, l’organisation a mis en place un groupe de travail sur la justice climatique, avec pour ambition d’approfondir les liens entre bouleversements climatiques, santé, et autonomie des femmes, dans une optique de transformation structurelle.
Menée dans les régions de Menabe, Vatovavy et Fitovinany parmi les plus exposées aux catastrophes naturelles l’étude exploratoire d’IPAS révèle une interconnexion forte entre le changement climatique et les perturbations de l’accès aux services de santé reproductive.
Tempêtes, crues soudaines, érosion côtière ou cyclones entraînent régulièrement l’isolement des populations, la destruction des infrastructures sanitaires, et des ruptures de stock en produits contraceptifs. « Quand l’eau monte, on ne peut plus traverser pour aller chercher nos contraceptifs », confie une jeune femme de Vatovavy. « Et parfois, on oublie même de penser à la contraception, tant il y a d’autres urgences. »
Cette précarité contextuelle favorise les grossesses non désirées, les accouchements non médicalisés et les avortements clandestins, souvent réalisés dans des conditions sanitaires alarmantes.
Les périodes de crise exacerbent également les violences basées sur le genre : agressions sexuelles dans les centres d’hébergement d’urgence, mariages précoces, chantage sexuel en échange d’aide humanitaire. Certaines femmes, faute de moyens, sont contraintes de se tourner vers la prostitution pour survivre. Ces pratiques, bien que subies, sont souvent invisibilisées ou tolérées dans le chaos des urgences. Le changement climatique agit ainsi comme un révélateur et un amplificateur des inégalités de genre existantes. Dans certaines communautés, les normes sociales continuent de valoriser la maternité précoce et de refuser aux femmes la possibilité de planifier leurs grossesses. « Les hommes pensent que les enfants sont une richesse. Ils interdisent à leurs épouses d’utiliser des méthodes contraceptives », explique un agent de santé de Menabe.
Face à ces constats, IPAS ne se contente pas de dresser un état des lieux. L’organisation propose des pistes d’action concrètes, structurées autour de trois axes prioritaires :
- Renforcer la résilience des systèmes de santé reproductive face aux chocs climatiques : mise en place de stocks tampon de contraceptifs, solutions mobiles de santé (cliniques mobiles), et réhabilitation des centres de santé endommagés.
- Plaidoyer pour une intégration des droits sexuels et reproductifs dans les politiques climatiques nationales : IPAS milite activement pour que les impacts du climat sur la santé des femmes soient pris en compte dans les stratégies d’adaptation, les textes de loi et les plans de développement.
- Favoriser l’autonomisation des femmes et des jeunes filles à travers l’éducation et la participation : en renforçant les capacités locales, en intégrant les femmes dans la gouvernance climatique, et en soutenant des programmes d’éducation sexuelle adaptés aux contextes de crise.
L’étude, réalisée avec l’aval de l’Institut National de Santé Publique (INSPC), s’appuie sur des entretiens qualitatifs menés auprès de jeunes filles âgées de 15 à 19 ans, de femmes de 20 à 30 ans et plus, ainsi que de personnels médicaux, autorités locales et membres de la société civile.
Le changement climatique n’est pas seulement un défi environnemental : à Madagascar, il se double d’une crise des droits humains et de la justice sociale. L’approche d’IPAS, à la fois intersectorielle et ancrée dans les réalités locales, montre qu’il est possible d’y répondre par des solutions concrètes, inclusives et pérennes.
La santé reproductive des femmes ne peut plus être reléguée au second plan des réponses climatiques. Il est urgent d’agir ensemble société civile, État, partenaires techniques pour que les droits des femmes restent garantis, y compris en temps de crise.
Un atelier d’étude exploratoire de l’intersection entre le changement climatique et la santé sexuelle et reproductive à Madagascar s’est tenu ce 6 juin au Radisson Blu Ambodivona